Au printemps 1997, j’étais réellement découragé. Bien qu’iXmédia devenait légèrement profitable (probablement parce que mon salaire annuel était de $15,000), le projet pour lequel je déployais corps et âme peinait à démarrer. Je recherchais un investissement de $400,000 à un moment où le capital de risque pour le démarrage d’entreprise était rarissime. En plus, mon projet n’était pratiquement rien de plus qu’une idée car je n’avais pas vraiment de prototype. Tout était contre moi et je n’avais rien, sauf une promesse de partenariat avec Tandem, une compagnie américaine spécialisée dans les ordinateurs de très grande fiabilité. J’avais besoin de me reposer, alors j’ai pris un billet d’avion pour aller me mettre les fesses dans le sable près de Puerto Plata en République Dominicaine.
Quelques jours passèrent jusqu’à ce que je réussisse enfin à faire le vide dans mon esprit. Ceux qui me connaissent savent que je vis perpétuellement dans un tintamarre d’idées, de projets et de possibilités. Pendant plusieurs jours, je me demandais pourquoi je devais travailler autant. Pour faire quoi au juste? Les jours passèrent et je n’avais pas vraiment de bonne réponse à cette question. Puis, mon esprit s’est apaisé et le tintamarre s’est estompé. Ce silence m’a permis de regarder l’horizon et sans m’en apercevoir, mes yeux s’étaient accrochés à un point blanc qui traversait l’horizon.
Par transposition, j’essayais de m’imaginer sur un voilier pour cette journée-là. Le vent était agréable par une chaude journée sans nuages. Moi qui adore faire de la planche à voile, j’ai toujours chéri tous ces moments passés sur l’eau. En fait, j’ai réalisé que dans ma jeunesse, mon médaillon préféré était une ancre en argent offert en cadeau par mes parents. Mes verres préférés étaient ceux avec un voilier que mes parents avaient obtenu en promotion dans une station-service. Et de toutes mes expériences de vie, celles que j’ai le plus appréciées étaient lors de voyages à l’étranger… J’ai à ce moment formulé une hypothèse: et si le voilier réunissait toutes les facettes de la vie que j’aimais le plus (voyage, eau, vent, découverte, autonomie)? Et si c’était plus un mode de vie qu’une activité? Je me suis dit que je me devais d’apprendre les rudiments dès le début de l’été…
J’ai réservé dans les semaines qui ont suivi deux stages: le premier au Lac Champlain et le second sur le fleuve, près de Tadoussac. Par un concours de circonstances (un professeur des Blanchons avait échoué leur bateau), ma première expérience s’est faite avec Daniel Hancock, un architecte de St-Jean-sur-Richelieu, qui avait une vaste expérience de capitaine et qui comptait deux voyages dans les Caraïbes à son actif. Bien que ma première expérience fut de seulement 48 heures, ce fut suffisant pour confirmer que c’était une activité fort agréable. Je me souviens d’avoir posé des centaines de questions à Daniel, mais je fus le plus surpris par une de ces réponses. Il m’a brièvement expliqué que faire de la voile était bien différent de posséder un voilier. La plupart des gens adorent les sensations que procure la glisse sur l’eau d’un voilier par une chaude journée ensoleillée, mais très peu vont finir par avoir un bateau…
C’était un peu mystérieux dans mon esprit et je repensais à ses paroles, quelques semaines plus tard, alors que l’aurore colorait de rose et saumon le ciel et la mer d’huile qui nous entourait. Un équipier venait de me servir un bol de fruits coupés quand dans le cockpit, on entendit de grandes expirations… «Des baleines!» Une quinzaine de rorquals communs ont encerclé le bateau pendant une trentaine de minutes pour nous offrir un spectacle inoubliable. Le clou est arrivé sous forme de 2 taches blanches qui ondulaient à la surface fonçant droit sur nous. Deux bélugas s’approchaient et l’un s’est même retourné pour me fixer droit dans les yeux en passant sous la coque. J’étais bouche bée… La nature m’offrira un autre spectacle extraordinaire lors du même voyage: une bio-luminescence phénoménale dans une baie du parc du Bic. Il n’en fallut pas plus pour que je comprenne pourquoi je devais continuer à travailler. L’argent me servirait à acheter un bateau et à partir profiter de la vie.
J’ai passé ensuite 5 ans à chercher un bateau. Mes moyens étaient limités, alors je devais faire un choix judicieux. Après avoir analysé, comparé et regardé tous les modèles sur le marché, mon choix s’est arrêté sur la gamme de Beneteau First par Jean Berret et Philippe Starck produite à la fin des années 1980. La gamme qui comportait plusieurs modèles, mais mes moyens me permettait de regarder seulement le 32 ou possiblement un 35 pieds. J’ai commencé à regarder du côté des États-Unis pour trouver des unités à meilleur prix. Lorsque le moment fut opportun, j’ai même fait plusieurs visites à Boston et New York pour trouver une unité qui conviendrait à mes besoins. Finalement, je suis tombé sur Never Enough, un Beneteau First 35s5 1993 qui n’avait à peu près jamais servi et qui était prisonnier d’un petit lac d’eau douce près de Charlotte, en Caroline du Nord. J’ai finalement réussi à m’entendre pour un prix qui me permettait de le ramener au Lac Champlain par camion et économiser $25,000 sur les unités locales et moins bien entretenues. Enfin, j’étais non seulement un amateur de voile, mais un propriétaire et capitaine.
Les propriétaires de bateaux semblables aiment beaucoup partager sur leurs bateaux et j’ai eu la chance de rencontrer les propriétaires d’un bateau pratiquement identique à Veloce, Emeraude V. J’ai appris plus tard qu’ils ont parié qu’un nerd ne pourrait pas s’adapter au travail manuel nécessaire pour l’entretien d’un bateau. Le printemps suivant, ils ont gagé que je ne serais pas capable de devenir un propriétaire. Je vendrais à coup sûr mon bateau d’ici deux ans… C’est dans les mois qui vont suivre que j’ai finalement compris ce que Daniel m’avait dit plusieurs années auparavant. La quantité de compétences à acquérir est immense (si on veut être autonome) et si on n’est pas habile de ses mains, comme moi, c’est une tâche quasi insurmontable. Mais mon ardent désir de voyager au long court sur l’eau était plus fort que toutes les embûches sur ma route. J’ai donc appris à réparer plomberie, électricité, fibre de verre en plus de faire la maintenance usuelle comme la peinture anti-algues et le cirage de la coque. La barre était haute, mais avec Internet (qui n’était pas répandu à cette époque) je pouvais me renseigner sur les techniques optimales alors que mes voisins dans la cour à bateau devaient développer leur propre savoir par l’expérience et les discussions de ponton. Pour ma première année, j’ai eu mon lot d’aventures loufoques et particulièrement avec les installations septiques à bord. J’ai découvert que la fermentation dégage un gaz qui augmente de façon surprenante la pression du contenu du réservoir si l’évent est bouché… Je peux affirmer que j’ai observé (et senti) mon premier geyser (couleur chocolat au lait) un jour en essayant de vider le réservoir sceptique. Évidemment, la surprise m’a arraché le bouchon des mains qui est tombé à l’eau, ce qui m’a permis de renouer avec l’apnée dans les algues. Mais rien ne saurait se comparer à la découverte d’un problème de design. Au lieu de raccorder le point de sortie au bas du réservoir septique, Beneteau a cru intelligent de le placer en haut et de coller un petit tuyau qui, comme une paille, permet de vidanger le fond. Après quelques jours avec des invités, je réalise qu’il m’est impossible de vidanger le réservoir, car il ne se vide pas! Après avoir analysé le problème, j’arrive à la conclusion que si je cherche avec mon bras au fond du réservoir, je devrais trouver la pièce problématique. Mes passagers étaient un tantinet horrifiés par mes recherches dans leurs défections, mais j’étais fort joyeux quand mes doigts ont touché quelque chose de dur en plastique!
Avec Véloce (le nouveau nom de Never Enough), j’ai vécu des moments inoubliables: la fébrilité des départs de régate, la sensation d’être dans un autre monde la nuit, sous voile, écouter un passager jouer de la guitare dans le cockpit lors d’un week-end d’initiation à la voile, des soirées bien arrosées à s’esclaffer avec Thérèse et d’autres amis de bateau. Je devais prendre des passagers pour m’aider à absorber les dépenses annuelles du bateau, mais ce travail me permettait d’être heureux dans un monde où la course effrénée au temps devient une curiosité. La seule ombre au tableau provenait d’une conjointe colérique qui ne partageait pas ma passion et pour qui je revenais toujours trop tard de mes séjours sur le voilier…
Au printemps 2007, j’ai dû faire un voyage d’affaires à Santa Monica et je me suis mis à réfléchir sur ma vie en général et en particulier mon futur conjugal. Ce jour-là, j’ai reçu une demande de charter provenant d’une fille et j’ai refusé, car les revenus ne compensaient pas la perte d’agrément de passer du temps seul au bateau. Mais cette même demoiselle a récidivé le printemps suivant et son courriel est arrivé au moment le plus opportun… De nature curieuse, j’ai fait une recherche avec son nom sur Google et j’ai rapidement déniché une photo d’une très jolie dame… C’est ainsi qu’a débuté un échange par correspondance. Elle était animée par le même désir de voyager que moi et elle a aussi succombé aux plaisirs de la voile (et à mon charme!). Comme nous étions tous les deux dans des relations lors de notre rencontre, nous avons dû passer à travers des moments difficiles dans les semaines qui ont suivi.
Notre plus grand, Maël, est arrivé en 2009 et il a été initié à la voile dès son plus jeune âge. L’année suivante, j’ai vendu mon entreprise à Ubisoft et nous avons entamé les recherches pour un bateau plus grand, qui nous permettrait de voyager en famille pour une durée indéterminée. (à lire dans la rubrique sur le bateau).
8 Commentaires
Commentaire par Guy Nadeau
Guy Nadeau 24 octobre 2015 at 8:37 am
Monsieur Beaudry,
Mon nom est Guy Nadeau, nous avons acquis un voilier Beneteau First 35 du nom de Veloce qui appartenait à M. Louis Lawson, est-ce que par hasard ce serait votre premier voilier auquel vous faites référence sur votre site ?
Je me souviens que M. Lawson a fait référence quelques fois à un certain Sylvain, j’imagine que c’est bien vous ?
Pour votre information, nous en sommes à notre saison de voile avec Veloce, un bateau que nous aimons beaucoup.
Au plaisir de vous lire.
Cordiales salutations,
Guy Nadeau
Commentaire par admin
admin 25 octobre 2015 at 11:29 pm
Bonjour M. Nadeau,
Effectivement, j’ai été propriétaire de Veloce entre novembre 2003 et septembre 2011. J’ai eu énormément de plaisir avec ce bateau et il me ferait grand plaisir de répondre à n’importe quelle question que vous pouvez avoir à propos de Veloce ou des améliorations que je lui avais apporté…
Vous naviguez à Québec avec le bateau?
Commentaire par Guy Nadeau
Guy Nadeau 22 novembre 2015 at 8:58 pm
Monsieur Beaudry,
Merci d’avoir répondu à mon courriel. Nous ne naviguons pas dans la région de Quebec mais plutôt dans la région de Montréal. Pour le moment nous sommes au Royal St-Laurent Yatch Club sur le Lac St-Louis. Ce n’est pas idéal avec un voilier comme Veloce mais pour le moment cela nous convient bien car c’est tout proche de la maison, éventuellement nous transférons au Lac Champlain un plan d’eau beaucoup mieux adapté à ce type de voilier.
Vous avez aussi un très beau voilier avec un Sense, vrai magnifique.
Au plaisir.
Guy Nadeau
Commentaire par Christian
Christian 8 mai 2017 at 9:44 am
Bonjour Sylvain, Quels récit intéressant! Nous larguons les amarres de notre Dufour 43 en juillet pour naviguer les mers du sud en famille à notre tour. Nos enfants de 9 et 10 ans sont bien excités!
Merci pour le superbe blog que je découvre peu à peu.
Quel outil utilise tu pour ce blog? Est-ce fait maison ou est-ce un outil tier?
Nous routes se croiseront peut être qui sait! Nous naviguons sur le “Serena I”
Bonne mer!
Christian
Commentaire par Guy Nadeau
Guy Nadeau 1 septembre 2018 at 6:58 am
Sylvain,
Où en êtes-vous dans vos aventures avec Jayana ?
Est-ce que j’en comprends que le bateau est à vendre maintenant ?
Cordiales salutations,
Guy Nadeau
Commentaire par Sylvain
Sylvain 4 septembre 2018 at 8:48 pm
Allô Guy,
Nos aventures avec Jayana achèvent malheureusement. J’ai convoyé le bateau au Lac Champlain au mois de juin et on a profité un peu de l’été sur le lac, mais la mer qui s’étire jusqu’à l’horizon nous manque. On planifie d’autres aventures (Belize, Afrique) dans les prochains mois, mais en ce qui concerne Jayana, nous essayons de lui trouver de nouveaux propriétaires.
Est-ce que vous naviguez toujours avec Veloce? J’ai pensé à vous à chaque fois que j’ai croisé des 35s5 au Lac cet été!
Commentaire par Guy Nadeau
Guy Nadeau 12 janvier 2019 at 6:51 pm
Sylvain,
Désolé du délai, je n’avais pas revisité votre site depuis septembre dernier. Oui nous sommes toujours propriétaire de Veloce, c’est un super voilier aréable à naviguer. J’ai apporté plusieurs changements au niveau électronique. Il est encore très propre comme lorsque vous l’aviez. Cet hiver je poursuit mes formations nautique avec Météorologie Marine. Avez-vous vendu Jayana ? Est-ce que vos prochains projets nautiques seront à bord de Jayana ?
Je dois vous avouer manquer vos post comme lorsque vous étiez à bord de Jayana, c’était vraiment excellent et nous permettait de voyager et même rêver de futurs projets de navigation éventuels.
Cordiales salutation à vous et toute la famille
Commentaire par Jacques Dubois
Jacques Dubois 1 mai 2019 at 9:48 pm
Bonjour Sylvain,
Merci à vous et votre conjointe pour votre belle présentation que vous avez fait ce soir à la Conam.
Vous avez mentionné que vous vouliez partir de StPaul vers le fleuve et vers les Acores.
L’année passée je suis partie de St Paul vers les Acores en passant par le lac Champlain, la Hudson et NewYork.
J’ai préféré prendre ce chemin pour éviter de payer les taxes d’assises, la TPS et TVQ sur mon bateau.
Je ne sais pas si vous avez payé les taxes canadiennes sur votre bateau mais si vous voulez passer par le fleuve vous allez devoir les payer.
Moi c’est la marina Gosselin qui avait fait l’entente avec les douanes canadiennes pour que le bateau retourne au lac Champlain au plus tard le 30 juin.
Bon vent
Jacques Dubois