Ma première grande traversée océanique en solitaire a eu lieu dans l’Atlantique, pour rallier Georgetown au Bahamas à Puerto Rico. Une distance à vol d’oiseau de 660 miles mais avec les vents à ma disposition, j’ai dû faire du près (aller contre le vent), ce qui a allongé mon parcours de 140 miles. J’ai levé l’ancre le lendemain matin du départ de Sounda et des enfants pour utiliser une fenêtre météo moins que parfaite, mais mieux que les vents dominant. J’ai avancé la plupart du temps en bi-energie (voile et moteur, merci Juliana 2 pour le terme) pour garder une moyenne de 7.5 nœuds avec des pointes à 9.0.

J’ai apporté mes appréhensions et mes peurs avec moi en début de voyage et j’ai pu me débarrasser de certaines en cours de route. J’ai vécu plusieurs moments d’angoisse, mais le pire est le manque de sommeil et la sous-alimentation.  A la fin de cette navigation, je n’étais plus capable de manger. Je ne désirais aucun goût… Tout me levait le cœur et exigeait un effort que je n’avais pas le goût de déployer. Le bateau gîté (30 à 35 nœuds de vent apparent) dans de la vague de 7 à 12′) n’a rien, mais absolument rien de plaisant. Je me répétais souvent: «je suis sensé faire cela pour le plaisir». Mais une petite voix murmurait: et tu risques ta vie pour quoi déjà? Elle m’envoyait des images de démâtage ou de collision avec un container. Deux scénario hautement improbable pour lesquels je n’étais pas bien préparé et qui auraient pu m’être fatal. Voici quelques messages que j’ai écrits en cours de traversée et partagés avec mes proches.

Jour 1

Ici, ça se passe bien… Je m’adapte aux conditions. Le vent est très faible, mais j’ai une longue houle de 2 mètres dans le nez. Comme je suis à moteur depuis 17h hier soir, ça brasse dans tous les sens. J’ai vraiment hâte de remettre les voiles. Au moins, je mange bien ce soir avec des crevettes à la noix de coco.

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Ce matin, j’ai pêché un petit Mahi. Ça donne quand même des filets pour 8 portions!

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Jour 2

Tout fonctionne bien jusqu’à maintenant à bord. Aucun bris à signaler. Mon gros défi est la gestion du sommeil. J’ai pas beaucoup dormi la nuit passée car il y avait du traffic et des îles autour de moi. Maintenant que je suis en pleine mer, les risques sont beaucoup moins importants. Je prendrais ce qu’il faut pour avoir une bonne nuit ce soir.

Je ne pourrais pas aller coucher à Mayaguana comme prévu. La météo s’annonce moins belle pour mon arrivée à Puerto Rico et j’essaie d’accélérer la cadence pour arriver avant le mauvais temps. Chaque heure est précieuse!

J’ai écrit un texte qui résume mes réflexions depuis mon départ. C’est au sujet des peurs et qu’est-ce qu’on peut faire avec…

Confronter ses peurs

Avez-vous déjà une une mauvaise expérience qui vous a stressé, énervé ou apeuré? Qu’est-ce que vous fait ensuite? Retenter l’expérience une seconde fois pour peut-être la vivre différemment?

Évidemment, l’alternative de vivre le restant de ses jours avec une limite marquée à l’encre indélébile ne fait pas pas trop partie de ma personnalité. Je reviens donc en solitaire dans les mêmes eaux où j’ai, pour la première fois, éprouvé une frayeur en bateau. En 2010, je reçois, de la part d’un capitaine  québécois rencontré dans les Îles Vierges Britannique, une invitation pour participer à un convoyage d’un Beneteau 50. Daniel me propose une traversée de Puerto Rico à Norfolk à la fin du printemps, une période de l’année habituellement parfaite pour effectuer cette traversée.

Nous prenons la mer par une calme journée sans vents. Je blague avec Daniel en disant que c’est vraiment facile ce genre de traversée. Il me dit avec un grand calme: “Nous verrons bien…” Étant équipier, je n’avais pas suivi la météo et je ne me doutais pas que d’autres bateaux en attente pour faire cette traversée ne seraient pas partis pour rien au monde…

Peu de temps après notre départ, on rencontre les plus grosses vagues que j’avais jamais vues. Elles étaient assez tassées (rapprochées) et j’ai commencé à craindre que le bateau puisse être couché par l’une d’elles. Je n’avais rien vu…. On se dirigeais droit dans un coup de vent (50 nœuds) et j’allais bientôt voir des conditions que je ne souhaite à personne de rencontrer. Une nuit où j’avais encore le cœur à la blague, mon compagnon de quart Benoit m’a bien fait rire quand il a dit qu’il donnerait tous ses REERs pour se faire héliporter dans un lit chaud, douillet et stable. J’aurais pris la même décision…

Je ne me rappelle plus combien de jours plus tard, mais la mer a pris une forme et une taille impressionnante et le voilier de 50′ faisait parure de jouet dans une baignoire d’enfant. Après le passage des deux Monstrueuses (les plus grosses vagues du voyage), j’ai partagé à Daniel la peur qui m’envahissait. Il m’a expliqué calmement que malgré leur taille, ces vagues n’avaient pas la force de renverser le bateau. Il fallait la rencontre avec un courant inverse pour leur donner de la puissance et les rendre dangereuses. Il m’expliqua qu’il avait vu des vagues deux fois plus grande lors du naufrage du bateau qu’il avait construit dans le Gulf Stream. La leçon qu’il m’a dit de tirer de cette expérience, c’était que la presque totalité des navigateurs sur la Milk Run (tour du monde par les Alizés) n’avait pas l’expérience de ce genre de conditions.

J’ai donc compris que la gestion du sommeil et du stress sont les seuls vrais facteurs qui déterminent l’issue de la lutte entre l’homme et la mer. Combien d’histoires ai-je entendues à propos d’équipages qui abandonnent leur bateau pour trouver la mort alors qu’on a retrouvé leur bateau intact. Parfois, rester dans sa couchette et rien faire est une stratégie valable… Cet été, j’ai dévoré les livres de John Kretschmer, une sommité en matière de stratégies pour survivre en pleine mer avec des conditions d’ouragans. Il prône une stratégie active de gestion du bateau dans de grosse conditions et je ne peux qu’admirer son audace, même si je n’aspire pas du tout à suivre ses pas.

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Une voyante a dit à Sounda à mon sujet, qu’il existe chez moi des dizaines de voix qui parlent constamment à mon esprit. Cette cacophonie me permet apparemment d’entreprendre de grandes choses et de les mener à bien, mais elle était étonnée par mon calme apparent. Elle lui a dit que la plupart des gens avec cette pathologie ne sont pas en mesure de bien fonctionner, sans cesse hanté toutes ces voix qui sèment le doute et empêchent d’avancer.

J’ai découvert qu’à l’intérieur de moi, il y a une voix terrorisé par mon expérience des vagues à bord de Voilo. Elle essaie bien de se faire entendre, de m’empêcher d’aller plus loin dans mon expérience de la voile hauturière. Elle me dit que j’ai presque exclusivement navigué dans des zones faciles (Lac Champlain et Bahamas) sans jamais rencontrer de vraies conditions musclées. Comment vais-je gérer le bateau dans des vagues de 5 à 15 pieds? Que la moindre erreur peut m’éjecter du bateau où la mort est certaine.

Depuis des mois, j’appréhende cette traversée en solitaire, des Bahamas à Puerto Rico. Cette voix aurait bien voulu me clouer à Georgetown, un carrefour dans les Bahamas qui marque la fin du voyage pour 80% des bateaux qui s’y rendent. La plupart des américains et canadiens vont repartir de là en pointant l’étrave vers le Nord. Qui s’aventure au sud s’expose à la mer, la vraie. Belle et sauvage. C’est la fin de la protection qu’offre le chapelet des îles des Exumas, qui rend la navigation si facile et à la portée de tous.

Le matin du départ et jusqu’à maintenant, j’ai le ventre noué par les craintes: un bris que je ne pourrais réparer, une panne moteur, une voie d’eau, un incendie. Les vagues qui m’entourent présentement font 6 à 7 pieds brasse le bateau comme une machine à laver le ferait. C’est une longue houle que je sais inoffensive, mais la foutue voix est toujours présente. Elle me parle dès que j’approche de l’eau et hurlait tout-à-l’heure lorsque j’étais à genoux sur la plage arrière pour ramener les dorades dans le bateau.

Si vous aussi vous avez ce genre de voix en vous, ne vous empêchez pas d’aller plus loin à cause de vos peurs. Je suis en train de combattre une des miennes par une méthode un peu radicale, mais je commence à ressentir de la fierté. Même s’il me reste encore 75% de la route à parcourir et que le vrai test sera à moins de 100 miles des côtes de Puerto Rico, j’ai de plus en plus confiance au bateau et en moi. J’atteints exactement l’objectif que je m’était fixé en voulant faire cette traversée en solitaire. Comme je disais à Sounda, si je ne peux pas mener à bien celle-ci, alors je ne serai pas prêt pour affronter l’Atlantique en juin.

Sur ce, je dois aller préparer mon souper… De délicieux filets de dorade (qui goûtent la noisette lorsqu’ils sont frais péchés) avec un bouquet de légumes. Et je décrète que je mérite bien une crème glacée comme dessert!

Jour 4

Bon matin!

J’étais très content hier quand j’ai vu que la batterie du modem tenait pour t’envoyer des nouvelles. (Le chargeur a été égaré dans le bateau et toutes mes tentatives de recherches ont été vaines). Pour ton information, je reçois à tous les jours mes fichiers météo vers 7:30am alors je me connecte sur Internet vers 8am pour les aller les chercher. C’est à ce moment là que tout ce que j’ai écris la veille est envoyé. Je suis donc toujours décalé d’une journée dans mes réponses à tes courriels.. Au début, je croyais être moins limité, alors je me branchais 2-3 autres fois dans une journée. Désolé si je semble ne pas donner beaucoup de nouvelles, mais c’est déjà un miracle technologique que tu puisses en avoir!

Ce matin, le moral est meilleur qu’hier. Je sens que la fin est proche: c’est demain en début d’après-midi je devrais passer en face de Fajardo. Si tu regardes la mer demain matin et que tu vois un voilier qui arrive par le nord, c’est sûrement moi!

Hier matin, j’étais plutôt léthargique sans le goût d’entreprendre quoi que ce soit. Je devais régler les voiles très régulièrement pour faire un près serré. De plus, une sortie sur le pont pour rafistoler des trucs m’a pas mal épuisé… Vers midi, quand j’ai pris la décision de faire route au sud 4 heures plus tôt que mon routage me suggérait. Cela va m’obliger à faire un près un peu plus serré, mais je peux gagner un peu de temps de cette façon. En après-midi, j’ai trouvé la force de pêcher: j’avais trouvé un poisson volant sur le pont plus tôt en journée et qu’un m’avait dit que c’est les meilleurs appâts de pêche. J’ai donc enfilé un hameçon dans le poisson et tenté ma chance pour attraper un thon. Une heure plus tard, je retrouve ma canne avec le fil de mon moulinet complètement déroulé. Je ralenti le bateau et me bat une grosse demi-heure avec ce qui s’avéra être une gigantesque dorade. J’en ai même cassé ma canne à pêche en la soulevant pour la mettre dans le bateau!

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À peine ai-je réussi à entrer le poisson dans le cockpit que je vois une hélicoptère de la US Coast Guard arriver droit sur moi. Je suis à plus de 250 miles des côtes, alors ils sont à une heure de vol de la terre ferme! Whoah! Ça en fait du chemin pour aller faire deux cercles autour d’un petit voilier! Ne voulant pas faire de gros salut de peur qu’ils croient que je suis en détresse, je mets mes pieds sur les branchies de la dorade pour éviter qu’elle ne gigote trop dans le cockpit pendant que je suis assis derrière la barre à roue.

En soirée, le vent a forci comme prévu et j’ai maintenant du 25 nœuds rafales à 30. Ces conditions vont me suivre jusqu’à l’arrivée.

Le bateau tient bon et moi aussi. Je mange beaucoup moins qu’au début car l’estomac plein, j’ai de la difficulté à digérer. Je bois beaucoup d’eau par contre.

Ps: Y a de l’action ce matin! Prise de ris cassé (réparé), paquebot qui passe juste à côté (0.5 miles), des grains qui m’envoient du vent de 35 noeuds avec rafales à 45 avec quelques vagues de 20′. Je continue ma cadence infernale à 8.5 noeuds avec moteur, trinquette et grande voile à deux ris.

 

Ce soir-là, le moral était à son meilleur et voici le meilleur moment de ma traversée:

 

Jour 5

Bon matin!

Mon courriel arrive un peu plus tard ce matin car j’étais empêtré dans des grains (x3). Avec 40 nœuds de vent et des vagues conséquentes, ma progression a été pratiquement arrêté. Je suis reparti depuis une quinzaine de minutes et si ça se maintient, je vais passer la point Nord est de Puerto Rico vers 14h. De là, c’est environ une heure pour me rendre à Puerto Del Rey. C’est à cette marina que je me rendrais à moins d’avis contraire de ta part. Comme je n’ai toujours pas trouvé le chargeur de mon modem satellite, j’utilise les derniers électrons de ma batterie pour prendre mes courriels. Je vais néanmoins réessayer vers 14h.

J’ai ben ben hâte d’arriver. Je suis dans un état aussi lamentable que le bateau. Usé, sans hygiène mais peu de bobos. J’ai passé une nuit blanche alors je tiens seulement sur l’adrénaline…

Je peux pas croire que je vais te serrer dans mes bras dans quelques heures!!!! Hier soir, j’écoutais Soldat Louis: “du rhum, des femmes, de la bière nom de dieu, c’est ça qui rend heureux”…. Ça résume pas mal ce qui me rendrait heureux!!! Arriver à temps pour un ti-ponche, retrouver ton beau corps chaud et prendre un bon souper avc une bière bien froide!!!!

 

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